La responsabilité de l’organisateur de croisière
En 2017, 503 000 passagers ont choisi de passer leurs vacances à bord d’un navire. Les croisières comptent aujourd’hui 21,3 millions de passagers, soit une croissance de 77 % en dix ans. La croisière est un phénomène touristique qui s’est démocratisé au cours des dernières années donnant ainsi l’occasion à la jurisprudence de préciser les contours de la responsabilité de l’organisateur de croisière.
Etude
La responsabilité de l’organisateur est susceptible de relever de deux régimes juridiques distincts. Tandis que le Code des transports impose au transporteur maritime de passagers une obligation de sécurité de moyen, le Code du tourisme soumet l’organisateur de croisière à une obligation de sécurité de résultat. L’obligation de sécurité demeure donc au cœur des deux régimes de responsabilité.
Certains auteurs voudraient que toutes les obligations de sécurité soient des obligations de résultat puisqu’elles comportent l’obligation d’assurer la sécurité physique d’autrui, en l’occurrence des croisiéristes. De toute évidence, cette obligation de sécurité se traduit par la nécessité d’éviter que le cocontractant subisse un dommage corporel. Or, l’organisateur de croisière n’est pas qu’un transporteur maritime de passagers.
En effet, l’organisateur d’une croisière ne limite pas sa prestation au transport de passagers. Il propose généralement, dans le cadre de l’organisation de la croisière, diverses prestations touristiques à l’instar de l’organisation d’excursions, la fourniture d’un service de restauration, l’hébergement en cabine…
Comme le rappelle le professeur BONASSIES, la croisière consiste « à offrir et à fournir à des clients, dénommés “croisiéristes”, une prestation principale de voyage maritime, dans des conditions particulières de confort et d’agrément, prestation généralement accompagnée de prestations complémentaires ».
Le navire de croisière n’est alors plus conçu comme un navire chargé d’effectuer une opération de transport, mais comme un hôtel flottant disposant à son bord de l’ensemble des infrastructures permettant d’offrir aux croisiéristes des prestations touristiques.
L’évolution des navires de croisières proposant toujours plus d’activités et de prestations a certainement permis l’application, parfaitement fondée, des dispositions du code du tourisme à l’organisateur de croisière.
Dans un arrêt largement commenté du 9 décembre 2015, la Cour de cassation a ainsi mis à la charge de l’organisateur de croisières une obligation de sécurité de résultat issue des dispositions spécifiques du Code de tourisme. Dans un attendu, la Cour de cassation rappelle que « relève du régime de la responsabilité de plein droit institué par l’article L. 211-16 du code du tourisme, issu de la loi no 92-645 du 13 juillet 1992 fixant les conditions d’exercice des activités relatives à l’organisation et à la vente de voyages ou de séjours, laquelle a transposé en droit interne la directive 90/ 314/ CEE du Conseil, du 13 juin 1990, concernant les voyages, vacances et circuits à forfait, l’organisateur d’une croisière qui présente les caractères d’un forfait touristique, au sens de l’article L. 211-2 du même code ».
La Haute juridiction a jugé « après avoir constaté que la société Costa Crociere avait organisé, non le seul transport des passagers, mais la totalité des opérations composant la croisière, en ce compris l’ensemble des services touristiques complémentaires offerts à ce titre, la cour d’appel en a déduit à bon droit que, dès lors que la combinaison de ces opérations constituait un forfait touristique, au sens de l’article L. 211-2, précité, la société Costa Crociere, en sa qualité d’organisateur de voyages, était responsable de plein droit de la bonne exécution des obligations résultant du contrat conclu par Mme X. »
La Cour de cassation a posé le principe, désormais bien ancré, de la responsabilité de plein droit de l’organisateur de croisière vendeur de forfait touristique. La qualification d’un forfait touristique relève toutefois de la casuistique et du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond. En l’absence de forfait touristique, la responsabilité de l’organisateur de croisière demeure sur le fondement des dispositions spécifiques du Code des transports.
La qualification d’un forfait touristique : critère déterminant de la responsabilité de plein droit de l’organisateur de croisière
La notion de « forfait touristique » est précisément définie par les dispositions de l’article L. 211-2 du code du tourisme dont la rédaction a été sensiblement retouchée par l’ordonnance du 20 décembre 2017 transposant la Directive n° 2015/2302 du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyages liées. La définition du voyage à forfait est ainsi élargie : « constitue un forfait touristique la combinaison d’au moins deux types différents de services de voyage aux fins du même voyage ou séjour de vacances, dépassant vingt-quatre heures ou incluant une nuitée, si :
- Ces services sont combinés par un seul professionnel, y compris à la demande du voyageur ou conformément à son choix, avant qu’un contrat unique incluant tous ces services ne soit conclu ;
- Indépendamment de l’éventuelle conclusion de contrats séparés avec des prestataires de services de voyage individuels, ces services sont :
- a) Soit achetés auprès d’un seul point de vente et choisis avant que le voyageur n’accepte de payer ;
- b) Soit proposés, vendus ou facturés à un prix tout compris ou à un prix total ;
- c) Soit annoncés ou vendus sous la dénomination de “ forfait ” ou sous une dénomination similaire ;
- d) Soit combinés après la conclusion d’un contrat par lequel un professionnel autorise le voyageur à choisir parmi une sélection de différents types de services de voyage ;
- e) Soit achetés auprès de professionnels distincts grâce à des procédures de réservation en ligne liées, lorsque le nom du voyageur, les modalités de paiement et l’adresse électronique sont transmis par le professionnel avec lequel le premier contrat est conclu à un ou plusieurs autres professionnels et lorsqu’un contrat avec ce ou ces derniers est conclu au plus tard vingt-quatre heures après la confirmation de la réservation du premier service de voyage.
La Jurisprudence a déjà eu l’occasion de préciser les contours de la responsabilité de l’organisateur de croisière vendeur de forfait touristique. Dans un arrêt remarqué du 27 avril 2017, la cour d’appel d’Aix-en-Provence s’est ainsi livrée à une appréciation extensive de la notion de forfait touristique afin de retenir la responsabilité de plein droit de l’organisateur de croisières. En l’espèce, la Cour a jugé que « la prestation proposée par l’organisateur de la croisière ne se limitait pas à une simple prestation de transport de passagers mais comprenait un ensemble de services touristiques complémentaires, notamment la pension complète avec hébergement en cabine et fourniture de repas, mais aussi, ainsi qu’il ressort de l’offre de croisière promotionnelle produite aux débats, l’organisation d’animations et prestations (gymnastique) proposées sur le navire ainsi que la programmation préalable aux excursions, peu important qu’elles soient facultatives et fassent l’objet d’une facturation distincte du forfait ».
Dans cet arrêt, la cour d’appel d’Aix-en-Provence rappelle également que « la mise en œuvre de cette responsabilité à l’encontre de l’organisateur de la croisière n’est pas subordonnée à l’existence d’un lien contractuel entre ce dernier et l’acheteur ». En l’espèce, l’acheteur de la croisière avait assigné l’agent de voyages et l’organisateur de croisière. Si la responsabilité du premier à l’égard de son cocontractant ne se heurtait à aucune difficulté sérieuse, la responsabilité de l’organisateur de croisière était moins évidente tant en raison de la nécessaire qualification d’un forfait touristique que de l’absence de lien contractuel avec l’acheteur de la croisière.
En prononçant des condamnations solidaires à l’endroit de l’organisateur de croisière et de l’agent de voyage, la cour d’appel d’Aix-en-Provence offre au croisiériste un régime juridique favorable lui conférant l’assurance d’obtenir réparation des préjudices dont il a souffert.
L’absence de forfait touristique n’exclut pas la responsabilité de l’organisateur de croisière
En l’absence de forfait touristique au sens de l’article L. 211-2 du code de tourisme, la responsabilité de l’organisateur d’une croisière demeure sur le fondement des dispositions des articles L. 5421-2 et L. 5421-3 du Code des transports.
Le régime juridique applicable aux accidents individuels de passagers est celui de la faute prouvée. L’article L. 5421-2 du Code des transports dispose en effet que « le transporteur est tenu de mettre et conserver le navire en état de navigabilité, convenablement armé, équipé et approvisionné pour le voyage considéré et de faire toute diligence pour assurer la sécurité des passagers. Il est responsable des dommages dus au retard tenant à l’inobservation des dispositions de l’alinéa précédent ou à la faute commerciale de ses préposés ».
L’article L. 5421-3 du même code dispose de son côté que « l’accident corporel survenu en cours de voyage, ou pendant les opérations d’embarquement ou de débarquement, soit aux ports de départ ou de destination, soit aux ports d’escale, donne lieu à réparation de la part du transporteur, s’il est établi qu’il a contrevenu aux obligations prescrites par les dispositions de l’article L. 5421-2 ou qu’une faute a été commise par luimême ou un de ses préposés ». Il résulte de la lecture combinée de ces deux textes que s’agissant d’un accident individuel de passager, l’obligation de sécurité à la charge du transporteur doit être considérée comme une obligation de moyen. Ce régime de responsabilité dont bénéficie le transporteur maritime de passagers, met à la charge de la victime la preuve d’une faute du transporteur.
À titre d’exemple, dans un arrêt du 20 janvier 2011, la cour d’appel de Nancy a condamné l’organisateur d’une croisière à réparer le préjudice moral dont a souffert un passager d’un navire ayant fait naufrage au large des côtes grecques. En l’espèce, les juges du fond ont relevé l’existence d’une erreur de navigation à l’origine du naufrage et l’absence de matériel de secours adapté.
Il semblerait toutefois que le débat judiciaire se cristallise autour de la notion de forfait touristique. Tandis que le croisiériste développera des moyens propres à qualifier l’existence d’un forfait touristique, l’organisateur de croisière tentera d’y échapper en se drapant sous sa qualité de transporteur maritime de passagers.
En tout état de cause, la construction du régime de responsabilité de l’organisateur de croisière est marquée par la prévalence du droit du tourisme sur le droit maritime. L’application des dispositions du code du tourisme, bien qu’inhabituel pour un contrat relatif à un navire, trouve une double justification.
D’une part, l’organisation d’une croisière est, en effet, une combinaison de contrats ayant pour objet le transport maritime, l’hébergement, la restauration, les activités culturelles, voire sportives. Ce panel de prestations correspond exactement à la définition du forfait touristique.
D’autre part, les juges trouvent dans les dispositions du code de tourisme un régime juridique de responsabilité de plein droit favorable au croisiériste. Cette protection est d’autant plus efficace que la responsabilité de plein droit prévue par le code du tourisme s’applique tant sur l’agence de voyages que sur l’organisateur de la croisière.
La notion de forfait touristique permet ainsi aux juges d’appliquer au croisiériste, qui demeure un consommateur, les dispositions protectrices du code du tourisme à l’exclusion des dispositions spécifiques de la Convention d’Athènes du 13 décembre 1974 et du Code des transports relatives au transport maritime de passagers.